Une ville détonante 

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Maintenant, il faut comprendre et peut-être que j’explique, que je réside et travaille avant tout dans la grande ville de Beyrouth.
Que voilà une ville (d)étonnante !
Pour l’étranger que je suis, il n’existe aucun schéma qui rende la ville compréhensible. Aucune organisation visible, intelligible ou structurante. La ville est sauvage, dans un sens premier. Il s’agit d’une forêt que nul jardinier ne contrôle ni ne maîtrise. La ville pousse. Elle croît, recouvrant et effaçant des millénaires de constructions de pierre, changeant de face dans des temporalités biologiques.
Ainsi, l’appartement où j’ai emménagé en famille avait au tout début une séduisante vue sur le mont Liban. Pendant quatre ans, cinq nouveaux immeubles sont venus occulter par morceaux la belle vision. Progressivement nous avons échangé le mont Liban contre des vues plongeantes et bruyantes sur des travaux avec des cohortes d’ouvriers syriens travaillant dans des conditions précaires. Ensuite ce furent des vues sur des immeubles vides et luxueux et finalement des vues sur des immeubles habités et animés.
Beyrouth est donc une ville vivante. Laissée à elle même, elle grandit, elle bouge, elle change. Un des effets directs est qu’il est fort agréable d’y vivre. C’est tout d’abord une ville de service où tout peut être trouvé, commandé et délivré à domicile. Tout. Le téléphone portable y fait donc des merveilles. Mais c’est aussi une ville très sure où il n’existe aucune violence urbaine. Pas ou peu de voleurs, pas de cambriolage, pas de vol à main armée... Paradoxe de l’image d’insécurité véhiculée à l’extérieur, l’étranger qui y vit, s’y sent à l’aise, décontracté, en confiance.
Malgré tous ces attraits ce n’est certainement pas une belle ville. Au contraire ! Au bout de trois mois de séjour, alors que j’étais en déplacement à Paris, je me suis soudain aperçu de la beauté de ta capitale. Vous autres, les Français vous possédez un véritable joyau et pour moi, venant de Beyrouth, le choc a été considérable. Il s’est ensuite renouvelé, à peine atténué, à chacun de mes séjours chez toi.
Résumer Beyrouth à une ville vivante, plus confortable, plus sure mais moins belle que les capitales occidentales est cependant aller un peu vite en description. Le fonctionnement au jour le jour de cette capitale est aussi très différent de ce dont vous, les Occidentaux avez l’habitude.
On peut sommairement ramener toute ville, où qu’elle soit située dans le monde à trois espaces. Le premier espace est l’espace public. Il est essentiellement horizontal. C’est la rue où circulent les véhicules et les personnes avec une séparation nette entre chaussée et trottoir. Le second espace est généralement privé. C’est l’espace du bâti qui se développe à la verticale et qui est constitué d’immeubles et de maisons. Ce deuxième espace peut présenter une transition, une interface entre le privé et le public, au travers d’espaces mixtes comme les magasins ou les zones communes des immeubles. Ces deux espaces en délimitent un troisième, aérien, parfois colonisé par des affiches, des fils électriques ou même complètement obstrué par des voûtes ou des portiques.
Dans votre assez vieux monde, très pacifié et pacifique, ces espaces sont plutôt strictement délimités et leur usage est assez clairement codifié. Ainsi, les voitures doivent suivre les sens uniques, s’arrêter aux feux lorsqu’ils sont rouges et éviter de monter sur les piétons. Ici, dans ce très vieux monde, ni tout à fait pacifié, ni tout à fait pacifique, les espaces publics sont un lieu de confrontation perpétuelle tandis que les espaces privés vivent leur vie, quasiment sans contraintes. Voilà certainement ce qui interpelle en premier l’Occidental en visite. Les signes extérieurs sont les mêmes, avec des rues et des trottoirs, des panneaux indicateurs et des feux rouges correspondant aux règles internationales. Mais en réalité les sens interdits ne le sont jamais complètement, les feux les plus rouges ne sont, au mieux, que légèrement mûrs et les trottoirs servent plus à garer les véhicules qu’à favoriser le passage des piétons.
Dans l’espace public, la première confrontation est donc celle du piéton avec l’automobile. Restes probables de la guerre civile, restes inconscients de ces temps où marcher revenait à provoquer le tireur embusqué, dans Beyrouth personne ne marche, ou plutôt, personne d’important ne marche. La marche est réservée à tous ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir un véhicule ou de se faire conduire en véhicule. Ce sont les ménagères philippines ou éthiopiennes, les concierges sri-lankais ou encore les ouvriers syriens. Ce peut être aussi quelques touristes égarés ou quelques visiteurs un peu perdus. Mais aucune personne normalement intégrée et socialement sérieuse ne peut vraiment marcher dans Beyrouth. La confrontation entre le piéton et la voiture, qui physiquement est déjà défavorable au piéton, devient donc singulièrement désavantageuse pour ce dernier. Il doit s’effacer devant la voiture, ne pouvant se prévaloir du droit du plus fort, ni physiquement ni socialement. De partout prioritaires, les véhicules débordent alors de la chaussée. Nulle zone piétonne n’existe réellement. Pour se garer, les automobiles envahissent les trottoirs et, forts de leurs droits, y écartent à coups de klaxon impérieux les piétons.
L’espace public est aussi le lieu d’une seconde confrontation. C’est celle du privé et du public. Ainsi par exemple, tous les endroits exploités par des intérêts privés comme les restaurants ou les commerces, ont tendance à s’approprier les trottoirs à travers ce que l’on nomme les « valets parking ». Ceux-ci, en échange d’un pourboire, prennent en charge votre voiture devant le restaurant, l’hôtel ou le commerce où vous vous rendez. Ils s’occupent de garer votre voiture et de vous la rendre dès que vous la réclamez. Ce faisant, il est quasiment impossible de garer soi-même sa voiture dans les quartiers les plus animés, là où se trouvent la plupart des restaurants. C’est que les trottoirs et toutes les places sont quasiment réservés par les nombreux groupes de valets parking. De fait, il s’agit d’une sorte de privatisation de l’espace public à des fins commerciales privées. Cela fait bien sur partie du charme de cette ville où il est très confortable pour une somme modique de ne pas avoir à trouver une place, de ne pas se soucier de se garer, de ne pas devoir marcher, etc. Mais d’un autre côté, il est aussi tout à fait irritant dans cet espace normalement public de se heurter sans cesse à des intérêts particuliers.
Dans cette confrontation, où le privé s’étale sans vergogne, l’État est obligé d’user de moyens forts. Dans ce pays où le paysage humain est si fragmenté, les hommes, c’est-à-dire les policiers ou les militaires ne semblent pas les instruments adéquats. Ils sont susceptibles d’être circonvenus, ou (pire ?) d’être soupçonnés de le devenir. L’État ne passe donc que rarement par ses pandores pour faire respecter la loi urbaine. J’ai souvent vu des policiers regarder sans sourciller des automobilistes s’engouffrer dans des sens interdits ou griller des feux très rouges. Imagine ! On ne peut rencontrer cela dans aucun autre pays du monde... J’ai déjà indiqué combien les instruments classiques, comme les feux et les panneaux, ne suffisaient pas. Dans ces conditions, l’État utilise sa force brute pour faire respecter sa loi. Il contraint la circulation et les déplacements par des obstacles lourds qu’il est le seul à pouvoir placer et déplacer. C’est ainsi que des blocs massifs de béton empêchent les voitures de se garer sur certains trottoirs, interdisent de faire demi-tour sur des voies de grande circulation ou canalisent la circulation autour de certains ronds points.
Si tu ajoutes à ces très nombreux blocs, des barbelés, quelques tanks et des patrouilles de soldats destinés à présenter une image de sécurité (ou de contrôle sur la sécurité), tu obtiendras alors un paysage urbain tout à fait particulier et finalement bien différent de celui dont tu as l’usage.

Monde minéral

Monde minéral aux éclats de néon pressé,
De fer et de verre stressé,
Les tours se poussent, tellement serrées,
Pour s’incliner – peut-être –
Vers cet avenir un peu trop accéléré.
Le passé est enfoui, rongé par les déchets.
La mémoire s’enfuit, maladie instantanée.
Monde minéral, si peu de vie, peu de joie,
Mais des aspérités, froides…
Avec le seul espoir, une pause,
Pour reprendre un souffle,
Un souffle laborieux,
Car désormais,
Assisté.

En regardant Beyrouth qui veille, dans l’attente du Fitr, ce 30 sept 2008

Ministres

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Déclaration juteuse

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Le concierge

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Ville bruyante

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L’école francaise

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Un brillant avenir

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Ecosystème urbain

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ISBN 978-2-9536623-0-6

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