Au pied des pyramides

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C’est dans ce contexte sécuritaire que j’ai été amené à croiser les hauts fonctionnaires. Très divers dans les extrêmes, souvent d’une redoutable intelligence, ce sont malheureusement eux qui sont en charge des questions de sécurité. Qu’ils soient américains, français, européens, plus rarement libanais ou syriens, ils se ressemblent tous. Ils sont, pour beaucoup, incroyablement arrogants, obtus et obstinés.
Pour moi, ce fut une révélation : la déformation institutionnalisée du pouvoir.
Il faut que tu imagines, car nous, dans notre monde du quotidien, nous ne côtoyons jamais ces êtres-là. Ils sont de tous les pays, de toutes les civilisations, de toutes les confessions. Ils représentent démocraties et dictatures pèle-mêle, Est et Ouest emmêlés, Nord ou Sud confondus. Ils se ressemblent tous. Ils ont le même comportement, hautain et méprisant.
C’est incroyable. Ce sont les derniers magiciens, ceux dont le verbe peut encore créer le monde.
Imagine ces êtres isolés au sommet d’une pyramide de pouvoir. Peut-être encore plus isolés ici pour des raisons de sécurité et à cause de l’étroitesse de leur pyramide.
Intelligents, ils pensent le monde. Arrogants, ils croient le comprendre. Obtus, ils n’écoutent pas les échos contradictoires. Méprisants, ils méprisent ceux qui ne sont pas de leur pensée, de leur avis, tous ceux qui se trouvent au pied des pyramides.
Comme tu le comprendras, ils se trompent souvent, mais cela n’est pas grave. Personne au-dessous, dans la pyramide, n’ose le leur dire, tout le monde s’évertue à exécuter leur ordre, leur verbe, tordant pour cela le bras de la réalité. Et c’est pourquoi leur verbe est création.
En général cela fonctionne, du moins en apparence, même si les résultats à plus long terme sont souvent étranges, parfois désastreux.
De temps en temps, le décalage avec le réel est trop fort et l’échec devient visible. Mais là encore, la pyramide magique fonctionne et la responsabilité dégringole l’édifice, jusqu’à retomber sur les têtes les plus humbles, celles qui se sont le plus engagées pour alerter, prévenir, colmater les brèches...
Imagine combien j’ai pu souffrir de ces gens-là, moi, petit fonctionnaire ridicule, nommé par hasard sur ce poste anecdotique de Consul Ordinaire. De par mes fonctions, j’ai été de suite et nécessairement en contact, avec cette caste. J’avais en outre dans mes bagages le tort d’une pensée indépendante, éloignée d’un stricte modèle pyramidal, accusée d’être rebelle. C’est ainsi qu’alors que je devais communiquer, immédiatement la discussion fut suspendue. A mes arguments, ne m’a été répondu que du mépris et dans cet échange asymétrique la parole m’a rapidement été confisquée.
Je le comprends maintenant, il s’agissait d’une simple tactique de défense. Car le verbe magique du haut fonctionnaire ne peut être nié, ce serait nier le monde qu’il construit autour de lui et donc nier sa propre réalité, la justification de son existence et finalement son existence même.
Aussi la communication est nécessairement refusée. Il n’y a pas d’espace pour échanger, comprendre, s’ajuster, aucune possibilité. Ce fut le cas, entre autre, pour les questions de sécurité. La discussion fut impossible parce qu’il n’y avait rien à discuter. En face de moi, réputé incompétent sur ces questions sensibles, l’autre possédait des informations très graves, mais qu’il ne pouvait me communiquer... pour des raisons de sécurité.
La soumission aux arguments d’autorité, l’alignement sur la pensée dominante, l’obéissance aux ordres sont les seules solutions à côté de l’évitement et de la fuite.
J’ai choisi ces derniers dès que je l’ai pu.
Le résultat ubuesque est le règne de l’entropie. Tout est gelé, aucun mécanisme démocratique ne peut s’exprimer, et au final, le haut fonctionnaire peut déclarer «‌Vous pouvez dire ce que vous voulez. Mon bilan est clair ; il n’y a eu aucun compatriote assassiné, aucun enlèvement, aucun blessé même. ».
Et c’est vrai, il n’y a eu aucune victime. On a envie d’applaudir à deux mains à cette sublime escroquerie intellectuelle. La lune n’est pas non plus tombée sur Beyrouth, il n’y a eu aucun tsunami ni aucune éruption de volcan. La terrible pandémie de grippe n’a tué aucun expatrié. L’affirmation comme quoi personne n’a eu à souffrir des événements suggère très habilement que c’est grâce aux actions (non) entreprises que tout cela a été évité. Inversement l’occurrence de nombreux morts aurait également justifié toutes les mesures les plus extrêmes. Quelques soient les résultats, la pyramide peut annoncer « avoir fait le maximum ».
Ce qui est alors intéressant, c’est qu’en quelque sorte la boucle est bouclée.
Par nature, la pyramide ne peut être renversée.

Orient moyen

Le soleil froid,
Fait un sourire bien dur,
Montrant ses dents – de pierre,
Mordant dans la dentelle
De lointains si proches.
L’horizon est aiguisé, affûté
Qui d’un geste tranche les perspectives,
Et puis s’attendrit.
L’horizon est moyen :
Nous sommes en Orient.
Fardé de bleu pâle,
Si net,
Qui se fait brutal, griffé de cyprès.
Ce bleu s’emballe
Sans seulement une concession,
Pas même aux oliviers,
Pourtant presque rangés.

Beyrouth, le 30 avril 2009

Sans papier ...

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Le visa

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La FINUL

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Regain de religion

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Cadeau de Noël

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ISBN 978-2-9536623-0-6

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