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Voilà.
Voilà, tu m’as connu bavard et
je pense que tu me retrouves écervelé. Car
j’ai
déjà beaucoup parlé, écrit
et discouru pour
finalement bien peu dire.
Ainsi, même si le temps t’en a
paru long, je ne t’ai pas conté les ciels lourds
de
pollution et le bruit qui ronge les villes. Je ne t’ai pas
dit
les mille défauts qui font de ce beau pays une
calamité
même si, malgré tout, on en vient à
aimer cette
calamité.
Certes aujourd’hui, le Liban est une
bonne publicité contre le libéralisme. Tout ici
indique
ce à quoi trop peu d’État peut
conduire, en terme
de pollution, de désordre et de mépris des droits
humains.
Non, tu ne m’as pas compris, il ne
s’agit pas de barbarie ou d’autres
atrocités.
Simplement il s’agit d’une sorte de
gangrène de
cette prééminence du privé. Pas ou peu
de vrai
État, mais une privatisation de la vie publique. Ainsi, par
exemple, nous avons ici l’un des
téléphones les
plus chers du monde, un réseau Internet ridicule et pour les
plus pauvres, des conditions de travail bien souvent terribles.
Pas d’État, cela veut dire que
beaucoup, les plus puissants, peuvent faire ce qu’ils veulent
et
notamment participer à une dégradation nette de
l’environnement. Sais-tu par exemple que la
décharge
publique de Saïda se trouve dans la mer ? Peu
d’État,
cela revient à la disparition de cette mémoire
que je
t’ai tant vantée. C’est ainsi que, par
exemple, le
vieux Beyrouth disparaît, maison par maison sous
l’assaut
des entrepreneurs. Pas d’État, c’est
aussi une
augmentation de la pauvreté de la masse concomitante
à
l’accroissement des richesses d’une
élite corrompue.
Peu d’État, c’est également
ce qui permet ces
luttes féodales au nom d’un confessionnalisme
prétexte. Car si l’on parle de dix-huit
confessions au
Liban, dans la réalité, il n’y en a
qu’une,
celle du matérialisme, tant la vraie spiritualité
est
trop souvent oubliée.
Enfin, je t’ai beaucoup parlé du
Liban, beaucoup plus que de toute la région et il ne faut
pas
que tu t’y trompes. Le Liban, est et reste un petit pays. Un
tout
petit pays pas plus grand qu’un de tes
départements
français, juste peuplé de quatre millions
d’habitants. Et quoi qu’en disent avec
fierté ses
habitants, c’est un trop petit pays pour de vrais
intérêts stratégiques. En
réalité,
les affrontements n’y ont que peu de portée,
même
s’ils y sont malheureusement tout à fait
meurtriers.
Reste tout de même, malgré le
temps compressé dans lesquels nous vivons, ce temps qui fuit
sans qu’on ne puisse en apprécier toute la magie,
reste
sur ma langue le goût de la cardamome, ces matins lumineux de
printemps où j’ai appris à boire les
cafés
que certains disent turcs, d’autres arabes et parfois
d’autres encore grecs ou chypriotes.
On pourrait se laisser à penser que le
café est un produit universel de la mondialisation. Mais un
café à Damas n’est pas vraiment
café
à Rome et café à Tripoli
n’est pas plus
café à Washington. C’est
café
profondément vivant dont la saveur est tout aussi unique et
entière que ce pays qui m’entoure. Si
l’on fait
l’effort d’apprendre à le
connaître, on ne
peut que s’y attacher, l’accepter et finalement
l’aimer. Commençant à le comprendre, tu
te laisses
alors à lui donner ces instants nécessaires de
respiration. Et dans cette grande courtoisie de
l’échange,
tu prends enfin ton temps pour ne pas en avaler le moult amer.
Le laissant enfin reposer dans le claquement
des jetons de tric-trac, tu vas alors entrer peu à peu dans
cette heure pharaon, celle qui a ce goût merveilleux de la
cardamome...
Je comptais seulement te
jeter quelques lignes et me voici te lançant un
pavé dans les bras !
Souhaitant que celui-ci ne t’ait pas
trop assommé et espérant que tu aies pu en
comprendre et
en percevoir, non ce que j’en ai dit, mais surtout, la
richesse
et la profondeur de ce que j’en ai vécu, je te
souhaite un
printemps occidental serein tout en promettant de te serrer
très
prochainement dans mes bras,
Avec toute mon
amitié désintéressée,
Le Consul Ordinaire du
Gratemoila,
A Beyrouth, ce premier
janvier 2010
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Les dessins, ainsi que bien d'autres, sont disponibles sur le site du
consulat du Gratemoila en Orient moyen à l’adresse
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