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L’accueil fait
partie des
éléments que j’ai le plus
appréciés
dans cette région qui pratique
l’hospitalité comme
un devoir, un principe de vivre et presque comme une forme
d’art.
De tout temps semble-t-il, les orientaux ont
pratiqué l’accueil du voyageur. Ceci est
étroitement mêlé au commerce et au
négoce.
Nous avons tous en tête les exploits des
phéniciens suivis
de ceux des commerçants arabes et singulièrement
l’image du marchand libanais. Un aspect particulier
d’une
telle ouverture ne s’envisage pas sans une certaine
inclinaison
et peut-être même un don pour les langues
étrangères.
Pour vous les Français qui avez
construit, pour partie, votre gloire sur votre langue et qui continuez
à en toucher toujours quelques dividendes, tout cela est
probablement assez difficile à entendre, peut-être
même à comprendre ou accepter. Votre
République
s’est en effet construite et développée
sur une
colonisation linguistique interne, écrasant ce que vous avez
dénommé avec quelque mépris les
«patois». C’est ainsi que le breton, le
basque, le
provençal ou l’alsacien sont passés
à la
trappe de la diversité culturelle. Votre langue
républicaine s’est ensuite répandue
dans votre
immense empire colonial en procédant de la même
intransigeance vis-à-vis des cultures locales.
C’est ainsi
que le Français s’est tout d’abord
implanté
dans le monde, selon une planification violente, avec une
volonté hégémonique et un grand
mépris de
l’altérité.
Aujourd’hui, drôle de pirouette,
alors que l’anglais s’impose comme langue
d’échange universelle, le français se
revendique de
la diversité culturelle. Pour se défendre, la
francophonie, par un salutaire retournement, met enfin en avant
certaines des valeurs qu’elle avait
jusqu’à
présent repoussées et ignorées.
La situation, ici est plus simple et plus
sereine. Le multilinguisme et la diversité sont des
données inscrites dans l’histoire et dans le
patrimoine
culturel. Quelle que soit l’époque, semble-t-il,
le Liban
et les pays voisins ont pratiqué le trilinguisme. Ainsi
Jésus s’exprimait en araméen
à une
époque où l’administration romaine
échangeait en latin et que la science et les arts se
disaient en
grecque. C’est d’ailleurs dans cette
dernière langue
que les évangiles ont été transcrits.
Mille ans plus tard, les croisés
amenaient dans leurs bagages le bas latin, un ancien dialecte
français de Normandie, dans une région
où le
peuple s’exprimait en arabe et en syriaque, langue
descendante de
l’araméen.
Quelques cinq à six siècles
plus tard, sous l’empire ottoman, l’administration
se
faisait en turc et le commerce en génois dans une
région
essentiellement arabophone.
On comprend un peu pourquoi personne ici
n’a de complexe à pratiquer le
français,
l’anglais ou l’arabe, le tout parfois
simultanément
dans une même phrase.
Ainsi au consulat, mon assistante, en plus de
ces trois langues, parle aussi le grec, tandis que ma comptable parle
l’arménien. Ce sont là restes de
l’histoire
laissés par l’empire turc. De même,
à
Maaloula en Syrie, j’ai rencontré des gens qui
avaient
pour langue natale le Syriaque, antique idiome presque
inchangé
depuis les temps bibliques, cette époque où cette
langue
que tous parlaient a servi à transcrire une partie de
l’ancien testament.
Aussi tu comprendras que c’est avec une
grande gourmandise que je me suis attelé à cette
belle
tâche que d’apprendre à parler
l’arabe. Ne ris
pas trop vite de l’échec que
déjà tu
pressens et laisse-moi le soin de bien m’expliquer. Ce
fût,
en effet, l’occasion de voir et d’examiner mes
propres
limites. Lenteur de mon apprentissage, limite de ma
compréhension et de ma capacité à
mémoriser. Un exercice qui force à
l’humilité, car soudain, je me suis
retrouvé seul
à ne pas en être capable. Tout le monde autour de
moi
pratiquait cette langue et moi seul n’y arrivais pas !
Bien sûr avec mon épouse, nous
nous sommes acharnés à apprendre quelques mots et
tournures de phrases. Nous nous sommes même
essayés
à les pratiquer dans la rue. Et maintenant tu peux te
moquer,
car ce fut assez drôle. Un ami algérien de passage
à Beyrouth me disait qu’il avait
l’impression
d’entendre des Chinois essayer pour la première
fois de
s’exprimer en français. Très souvent
les gens
à qui nous nous adressions ne nous comprenaient pas du tout.
Au
Liban, la plupart nous le disait directement dans un
français ou
un anglais parfait. Le comble a été atteint
à la
frontière jordanienne lorsque le douanier s’est
excusé devant notre arabe hésitant. Il nous
demandait de
lui pardonner parce qu’il parlait mal anglais et avait des
difficultés à nous comprendre !
Heureusement que nos efforts ont parfois
été récompensés par les
sourires
enchantés de personnes simplement heureuses que
l’on
s’intéresse à eux dans leur langue.
Parfois les
sourires étaient incrédules, d’autres
fois ils
semblaient surpris, souvent ils étaient
accompagnés de
rires et toujours d’une invitation au plaisir d’une
discussion plus approfondie.
Pour résumer notre « parler
», c’était celui du confort et de la
frustration.
Confort parce que partout nous pouvions nous faire comprendre et
résoudre tous nos soucis, mais également
frustration car
notre niveau n’a jamais été suffisant
pour pouvoir
échanger des idées ou des pensées et
que la
moindre conversation intéressante nous échappait
immédiatement.
Pour continuer sur l’accueil, je veux
maintenant te dire la riche cuisine orientale, celle qui
s’est
développée et raffinée dans ce petit
triangle qui
passe par Beyrouth, Alep et Damas, celle-la même qui
aujourd’hui est fameuse dans le monde entier. Je
t’en
parle, à la fois pour te faire regretter de ne jamais
m’avoir visité, à la fois car ce sujet
est
d’importance, tant il fait partie de la
convivialité de
l’Orient.
Pour vous les Français, la cuisine est
un art qui lie tradition et luxe. La cuisine française est
ainsi
riche de très nombreux plats, d’origines
populaires et
régionales et qui ont doucement évolué
vers des
raffinements somptueux, selon un code qui s’est
progressivement
figé. A cette base sont venus ensuite se rajouter de
nombreuses
innovations, recherches et mariages heureux qui font
aujourd’hui
de votre cuisine un raffinement complexe et coûteux
ancré
dans la modernité.
Ici en Orient, si la cuisine peut aussi avoir
ce côté luxueux et raffiné, elle est
surtout un
instrument de l’accueil et de la convivialité
ancré
dans les usages et la tradition.
Ainsi, lorsque l’on est invité,
la table d’hôte se présentera
nécessairement
surchargée de mets variés. Il s’agit du
fameux
mézé libanais qui est fine explosion de
goûts et de
couleurs. Comprends bien, le premier repas est déroutant. On
te
fait asseoir et tu te retrouves entouré de mets dont tu ne
sais
rien, ni du goût, ni de la façon de les manger. On
te
donne un pain plat, parfois gonflé dont tu ne vois pas quel
pourrait en être exactement l’usage. Bien
sûr, tes
hôtes sont parfaits et ils commencent à
t’énumérer les plats, à te
les
décrire et à t’enjoindre à
en goûter.
Assez vite tu comprends que le pain sert à saisir et que ce
que
tu saisis ainsi est toujours délicieux. Tu prends confiance
et
tu en reprends, faisant passer l’ensemble grâce
à
ces vins libanais fort charpentés ou avec cet arak qui
ressemble
tant à ton pastis, mais qui, peu sucré, en
diffère
pourtant en prolongeant avec bonheur les senteurs locales.
Assez vite, tu es subjugué par tous
ces mézés. La diversité est
extraordinaire,
c’est un peu comme si ton hôte t’offrait
l’ensemble des saveurs de l’Orient et
qu’il te
laissait toute liberté pour y batifoler. Car le repas se
déroule exactement ainsi, en toute liberté.
Contrairement
à tes repas français tellement formels, ici pas
de
procédure. Tu pioches là où le
cœur
t’en dit, selon le chemin qui te convient : le repas se fait
en
mangeant. Pour te définir la différence, je dirai
que
c’est la même qu’entre un livre et un
tableau. Tous
deux peuvent être des œuvres d’art et
tous deux sont
pourtant très dissemblables. Dans le livre, tout comme dans
ta
cuisine occidentale, il faut entrer mot par mot, ligne par ligne, plat
par plat. Le déroulement est prévu et
soigneusement
codifié. Être ainsi guidé permet toutes
les
surprises, le suspens et l’étonnement mais
interdit
l’émotion de la liberté. En revanche,
dans cette
cuisine orientale, tout t’est offert, tout de suite, comme
dans
un tableau. A toi d’y construire ton chemin, selon ton
goût, ta sensibilité et ton intelligence. Tu
restes
maître de ton temps et donc libre de mettre en
scène tes
plaisirs.
Rapidement, il faudra alors faire
l’apprentissage de la modération, car trop souvent
les
tables débordent de plats et il est délicat de
s’y
frayer un juste chemin. L’exercice n’est pas
facile. Il
convient, en effet, ni de froisser ton hôte, ni de sortir de
table frustré, tout en prenant un plaisir raisonnable
à
cet immense bonheur de cet art séculaire...
Dans cette même veine, un des
événements importants du temps social est le
Ramadan. Ce
mois consacré au jeûne religieux rythme avec force
toute
la société. Basé sur les lunaisons, il
change de
date chaque année, se déplaçant de dix
petits
jours dans notre agenda solaire. Ce simple
élément fait
que le Ramadan, tout en étant incontournable et
récurrent
dans le calendrier, n’est jamais une institution
ancrée
dans nos temps occidentaux, comme Noël ou Pâques.
Paradoxalement, c’est pendant ce mois
que la cuisine libanaise est la mieux mise en valeur. La privation
aboutit, en effet, à des repas somptueux, riches et
très
variés. L’accueil y est alors chaleureux et
généreux. Car le mois du Ramadan est aussi le
mois des
invitations pour les Iftars, ces repas où l’on
rompt
collectivement le jeûne. C’est d’ailleurs
une riche
période où le travail est
allégé et
où l’on se laisse vivre dans un temps presque
ralenti,
comme en attente. Les repas prennent alors une importance
considérable et la qualité de la cuisine en est
rehaussée.
Enfin, petites remarques pour clore ce
chapitre, le jeûne du Ramadan est une opération
collective
dont le poids social est très fort. Ainsi j’ai
rencontré plusieurs fois des musulmans qui ne le
pratiquaient
pas systématiquement en privé, sans toutefois le
reconnaître ouvertement. C’est qu’ici et
contrairement à ton pays individualiste, la pratique des
religions est tout à fait collective.
C’est aussi un moment, où en
théorie tout le monde devient plus égal devant la
privation et la souffrance du corps. J’ai cependant assez
vite
découvert que ces moments difficiles renforçaient
au
contraire les inégalités sociales. Ainsi, par
exemple, le
jeûne pratiqué par mon concierge,
obligé de se
lever tous les matins tôt et de se tenir à
disposition
toute la journée dans la chaleur abrasive de
l’été n’a rien à
voir avec, dans le
même immeuble, celui effectué par ce gros
médecin
qui dort jusqu’en milieu d’après-midi et
supporte
les grandes chaleurs en mettant la climatisation à fond...
St SiméonCaillou. Chant des Oliviers ! Une colonne ronde. Un caillou, |
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