J’ai reçu cette lettre du printemps, un
de ces matins
venteux et gris où l’on a tant de mal à
émerger du lit. Cela faisait longtemps que je
n’avais eu
des nouvelles de cet excellent ami Kooki et
c’était une
promesse d’été fleuri. Ce fut donc avec
une joie
sans mélange que je dévorais sa missive.
Ne connaissant ces pays dont il me parlait, si ce
n’est
à travers le prisme trouble des médias, assez
naïvement j’en partageais la lecture avec un ami
syrien de
passage. Ce dernier faillit s’étrangler
d’indignation, tant il trouvait scandaleux qu’un
diplomate,
fut-il simple Consul Ordinaire, puisse afficher des tendances aussi
pro-israéliennes. Connaissant mon Kooki, je
décidais
d’en avoir le cœur net et confiais alors la missive
à une connaissance libanaise, un politicien
chrétien
assez connu. Celui-ci manifesta sa fureur avec plus de
modération, mais sa retenue même
m’impressionna plus
que n’importe quel éclat de voix. Il trouvait
ahurissant
que je puisse lui faire lire des torchons tellement pro-islamiques...
Paradoxalement, ces deux réactions
opposées
qu’accompagnèrent ensuite celles de plusieurs
observateurs
bien pensants de la région,
m’encouragèrent
à porter ce texte devant un éditeur pour en
assurer une
plus grande diffusion.
Il m’apparaissait en effet que le dessein de ce
coquin de
Kooki était tout simplement de présenter ce
Levant
paradoxal, riche d’une telle diversité et en
même
temps tellement rongé par toute cette satanée
complexité. Le fait qu’il ait choisi
simultanément
plusieurs modes d’expression, un texte libre et des
poèmes, mais aussi des caricatures et des bandes
dessinées, montrait l’effort et la
volonté
qu’il avait fournis pour aller dans ce sens. Le fait que tel
ou
tel élément puisse éveiller
l’irritation des
uns ou des autres, et parfois de tous, montrait aussi le difficile (et
peut-être impossible) équilibre d’une
telle
tâche...
Quoi qu’il en soit, pour moi son plus proche ami, je
reste
persuadé que cette lettre est un témoignage
d’amour
pour ces pays et leurs habitants et que si sa lecture est susceptible
de déplaire c’est qu’avant tout elle
cache beaucoup
de vérités mais aussi une distance
éclairée, plutôt amusée et
surtout
très tolérante.
Hervé de la
Moite-Motte,
Consul Général de France au Gratemoila
Excellence, Monsieur le
Consul Général,
Également, mon très cher ami,
Il est possible que de là-bas, de ce territoire occidental
et
moderne, il est possible que tu aies du mal à comprendre ce
que
je souhaite te partager. Aussi, exceptionnellement, je vais
m’efforcer à la patience afin de te traduire ce
que nous
vivons ici et ce que nous vivons maintenant, dans ces moments parfois
difficiles mais toujours merveilleux...
Cher ami,
Voici bientôt quatre ans que j’ai quitté
les
terres douillettes, dodues et européennes où tu
te caches
toujours, pour venir tout doucement m’assoupir, ici, au
Levant,
dans ce beau printemps qui dure.
Le temps est cependant venu de me secouer un peu, de balancer ma
nostalgie et de reprendre la route. Je ne le regrette pas, au
contraire.
Oui, voilà tu as compris, je vais partir très
bientôt, sans regret, car il n’y a rien
à regretter,
si ce n’est ce pays tellement merveilleux...
Simplement, au moment de revenir un peu du côté de
chez
nous, je m’aperçois que je ne t’ai
jamais
conté mes expériences. Je ne t’ai pas
partagé ce goût riche pour des terres arides,
cette saveur
un peu âpre de l’air iodé, pas plus que
ces couleurs
délicates les soirs de fraîcheur. Je ne
t’ai pas non
plus expliqué cette abrasion constante du quotidien qui rend
pourtant si éclatant le soleil levant. Je n’ai
rien dit,
jamais, et m’en excuse.
Non, de tout cela je n’ai rien dit, je me suis
contenté
d’en savourer seul les couleurs fines et les brisures
marbrées. Voilà pourquoi, au moment de reprendre
la
route, je t’adresse cette lettre.
Comme tu le sais, ce pays dont je pars est le Liban, y ayant
été nommé Consul Ordinaire par un
merveilleux
hasard, il y a de cela presque quatre ans.
Tu comprendras alors peut-être pourquoi je suis
demeuré
silencieux si longtemps, ton souvenir, pourtant, toujours vibrant dans
mon cœur.
Tu comprendras et tu excuseras...
Si possible.
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Les dessins, ainsi que bien d'autres, sont disponibles sur le site du
consulat du Gratemoila en Orient moyen à l’adresse
suivante :
http://www.kooki.org
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